Rupture conventionnelle et licenciement économique

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Hommes en rendez-vous d'affaires Getty Images / BartekSzewczyk

Si la rupture conventionnelle n’a pas, par principe, le même objet que le licenciement pour motif économique, il peut être tentant pour l’employeur de faire procéder à une ou plusieurs ruptures conventionnelles en cas de difficultés économiques.

Comment s’articulent ces deux modes de rupture ? Quel est le risque encouru si les règles d’un licenciement économique tentent de ce fait d’être éludées ?

Rupture conventionnelle et licenciement économique : deux ruptures bien distinctes

Deux ruptures du contrat aux objectifs différents et par principe incompatibles

Toute rupture du contrat de travail en cas de difficultés économiques est possible, à l'exclusion de la rupture conventionnelle (article L. 1233-3 du Code du travail).

Par principe, les deux objectifs étant différents, il n’est pas possible de rompre le contrat via une rupture conventionnelle lorsque la volonté de rupture résulte, de la part de l'employeur, d’un motif économique.

Dans un cas, la procédure est allégée : il faut l'accord des deux parties, l'homologation de la Dreets (ex-Direccte), mais aucun motif n'est à établir en cas de rupture conventionnelle.

Dans l'autre cas, c'est-à-dire le licenciement économique, la procédure est beaucoup plus importante. En fonction du nombre de ruptures de contrat opérées et de la taille de l'entreprise, il convient de respecter de nombreuses règles (consultation des représentants du personnel, mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, proposition de la convention de reclassement personnalisée...).

Mais la pratique a amené la jurisprudence à assouplir ces principes posés au moment de la création de la rupture conventionnelle.

L'assouplissement de la pratique : les deux modes de rupture peuvent être envisagés

La Dreets (ex-Direccte) admet la possibilité pour l'employeur de procéder à des réductions d'effectifs en concluant des ruptures conventionnelles. Il convient cependant de respecter une double condition :

  • la procédure de rupture conventionnelle n’est pas détournée (ce qui suppose que le salarié est pleinement consentant à cette rupture) ;
  • les droits de ce salarié sont préservés : il convient de s'interroger sur les éventuels avantages que le salarié pourrait percevoir dans le cadre d'un licenciement économique, dont il serait privé en cas de rupture conventionnelle de son contrat.

Un contexte économique difficile pour l'entreprise voire un plan de sauvegarde ne sont pas à eux seuls suffisants pour exclure l'application de la rupture conventionnelle (circulaire DGT 2009-5 du 17 mars 2009 n° 1.4.)

Par principe, les ruptures conventionnelles ne sont pas prises en compte pour la mise en œuvre de la procédure de plus de 10 salariés dans un délai de 30 jours prévu par la loi (article L. 1233-26 du Code du travail).

Par exception, elles le sont : 

  • si ces ruptures conventionnelles ont une cause économique ;
  • si elles s'inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent l'une des modalités (Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581) ;
  • si elles n’ont pas pour but d’éluder les règles impératives en matière de plan de sauvegarde de l’emploi (CA Lyon, 4 décembre 2012, n° 12-01.592).

Bon à savoir : il convient de distinguer les ruptures conventionnelles des ruptures de contrat résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) ou encore des ruptures du contrat amiables survenant dans le cadre d'un accord collectif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) (article L. 1237-16 du Code du travail).

Demande d'informations de la DREEST (ex-DIRECCTE)

Dans le cadre d'un grand licenciement économique collectif (au moins 10 salariés sur 30 jours) ou d’une rupture conventionnelle collective, la Dreets peut demander des informations à l’employeur. Depuis le 2 décembre 2019, les échanges avec l'Administration s'effectuent via le portail « RUPCO » (arrêté du 21 octobre 2019). Sur ce portail, l’employeur transmet à la Dreets :

  • le projet de licenciement économique ou de rupture conventionnelle collective ;
  • les informations communiquées aux représentant du personnel en vue de leur consultation ;
  • l'accord de rupture conventionnelle collective ;
  • le cas échéant, les contestations portant sur l'expertise décidée par les représentants du personnel ou, lorsque le licenciement intervient dans le cadre d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire), la copie du jugement du tribunal de commerce.

Qui sanctionne la détournement de la procédure et de quelle façon ?

Le contrôle a priori de l’inspection du travail

La Dreets va s'assurer du respect des conditions prévues en cas de rupture conventionnelle et de la liberté de consentement des parties. Elle dispose de 15 jours ouvrables à compter de la réception de la demande d'homologation. À défaut de notification dans ce délai, l'homologation est réputée acquise et l'autorité administrative est dessaisie (article L. 1237-14 du Code du travail).

En cas de doute sur le fait que la rupture conventionnelle puisse servir à dissimuler un licenciement pour motif économique en détournant la procédure spécifique, elle va refuser l'homologation de la rupture conventionnelle.

La Dreets sera très vigilante en cas de multiplication des ruptures conventionnelles dans un délai bref, se rapprochant des règles de licenciement pour motif économique.

Exemples : en cas de signature de 10 ruptures conventionnelles dans un délai de 30 jours ; en cas de signature d'une rupture conventionnelle qui avait été précédée de 10 demandes sur les 3 mois précédents ; en cas d'une demande au cours des trois premiers mois de l'année alors que 18 demandes de ruptures conventionnelles avaient été formulées l'année civile précédente.

Il appartiendra alors à l’employeur soit de conserver le salarié dans ses effectifs, soit de rompre le contrat en respectant la procédure de licenciement pour motif économique idoine (individuel ou collectif).

Le contrôle a posteriori du juge

Si le juge judiciaire est saisi par le salarié, alors il sera compétent pour apprécier si la signature d’une rupture conventionnelle cherchait à dissimuler un licenciement pour motif économique ou à éviter de respecter la procédure et les avantages d’un licenciement pour motif économique collectif.

Le salarié qui conteste cette rupture pourrait alors solliciter du juge judiciaire de réintégrer la rupture de son contrat dans les licenciements économiques parallèlement prononcés.

Plus classiquement, il pourrait solliciter l’octroi de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement pour motif économique.

Bon à savoir : en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, les salariés peuvent prétendre à des dommages et intérêts dont le montant est fixé selon un barème prévoyant des montants planchers et les plafonds, variant selon l'ancienneté du salarié et la taille de l'entreprise (article L. 1235-3 du Code du travail modifié par l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, dont la validité a été confirmée par la Cour de cassation dans deux avis n° 15012 et 15013 du 17 juillet 2019 et dans un arrêt : Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-14.490). En revanche, en cas de non-respect de dispositions pour motif économique, on considère que la procédure est nulle. Le salarié peut alors prétendre à une indemnité égale à 12 mois de salaire (article L. 1235-11 du Code du travail). Si par principe, la première indemnité peut être sollicitée, la jurisprudence pourrait évoluer et octroyer la seconde, deux fois plus importante.

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