
Lorsqu'un salarié commet une faute d'une extrême gravité, dans l'intention de nuire à son employeur, il peut être licencié pour faute lourde.
Dans un tel cas, le salarié ne bénéficie pas des mêmes avantages que pour un licenciement pour cause réelle et sérieuse. En effet, la faute lourde est le niveau de faute le plus élevé sur l'échelle des sanctions. Mais, qu'est-ce qu'une faute lourde ? Quelle procédure de licenciement doit être respectée dans un tel cas ? Le salarié est-il indemnisé ?
Bon à savoir : prévu par les ordonnances de 2017 sur le renforcement du dialogue social et la sécurisation des relations de travail, un Code du travail numérique a été instauré en janvier 2020. Ce service, proposé par le ministère du Travail, permet de faciliter l'accès au Code du travail avec des outils et ressources pour les salariés et employeurs : réponses personnalisées aux questions des usagers, calculs de droits, modèles de documents, articles du Code du travail et textes conventionnels, etc.
Licenciement pour faute lourde : une faute nécessairement intentionnelle
La faute lourde, d'une exceptionnelle gravité, est commise par le salarié dans l'intention non équivoque de nuire à l'employeur, de porter préjudice à l'entreprise.
Elle peut résulter :
- d'un agissement (ou d'une abstention) isolé ;
- ou d'un ensemble d'agissements (ou d'abstentions) commis par le salarié dans l'intention de porter préjudice à l'employeur.
Il appartient à l'employeur de juger du caractère lourd de la faute du salarié. En cas de litige entre les parties, il convient de s'en remettre à l'appréciation judiciaire du conseil des prud'hommes. Dans un tel cas, il revient à l'employeur de prouver que le salarié a eu l'intention formelle de nuire aux intérêts de l'entreprise. Dans la pratique, un employeur peut difficilement prouver l'intention de nuire de son salarié, c'est pourquoi la faute lourde est peu souvent retenue.
Bon à savoir : un licenciement pour faute ne peut pas reposer uniquement ou principalement sur des témoignages anonymes. Ceux-ci peuvent constituer un élément d'information, mais pas une preuve principale (Cass. soc., 4 juillet 2018, n° 17-18.241).
À noter : sur l'échelle de gradation des fautes, la faute lourde est supérieure à la faute grave. Elle correspond au niveau le plus élevé sur l'échelle des sanctions.
Exemples de faute lourde pour un licenciement
Les juges ont eu l'occasion de retenir la faute lourde dans les cas suivants :
- la dégradation volontaire d'un outil de l'entreprise ;
- la divulgation d'informations secrètes ;
- le détournement de clientèle au profit d'un concurrent ;
- la séquestration d'un membre du personnel de l'entreprise ;
- l'envoi d'un courrier de diffamation à l'unique client de l'entreprise ;
- l'octroi, par le salarié ayant usé de sa qualité de directeur d'usine, d'une prime exorbitante représentant plus de six fois son salaire annuel, dont il connaissait l'impact sur l'entreprise et le caractère irrégulier de la fixation (Cass., soc., 2 juin 2017, n° 15-28.115) ;
- une agression physique du gérant de la société au cours d’un entretien disciplinaire, volontaire et préméditée de la part du salarié, procède d’une intention de nuire et constitue une faute lourde (Cass. soc., 28 mars 2018, n° 16‑26.013) ;
- des menaces de mort proférées envers son employeur avec intention de nuire (Cass. soc., 4 juillet 2018, n° 15-19.597) ;
- le fait, pour un salarié, de dissimuler la création d’une entreprise ayant une activité concurrente vis-à-vis de son employeur, alors qu’il travaillait encore dans l’entreprise, qu’il était lié par une clause d’exclusivité et qu’il détournait des clients de son employeur (Cass. soc., 15 mai 2019, n° 17-28.943) ;
- les actes de sabotage, etc.
Pour autant, les juges prennent leur décision au cas par cas et en prenant en considération le contexte entourant les faits fautifs. Cette liste d'exemples n'est donc pas exhaustive.
Licenciement pour faute lourde : sanctions du salarié
Le licenciement pour faute lourde obéit aux règles classiques du licenciement pour motif personnel.
Possibles poursuites pénales
La faute lourde peut entraîner des poursuites pénales. En revanche, un salarié ne peut être sanctionné pour faute lourde s'il fait par ailleurs l'objet de poursuites pénales (ou incarcération) pour des motifs extérieurs à son travail dans l'entreprise.
Procédure du licenciement pour faute lourde
Tout d'abord, il faut avoir à l'esprit qu'un employeur qui souhaite licencier un salarié, doit agir dans un délai de 2 mois suivant la date à laquelle il a pris connaissance des faits fautifs. Pour autant, dans le cas de la faute lourde, il doit agir rapidement car son extrême gravité justifie la cessation immédiate du contrat de travail. Lorsque l'employeur tarde trop, les juges écartent la qualification de faute lourde. Ce délai de prescription commence à courir le jour où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité et de la nature des faits fautifs.
À noter : pour s’assurer de la réalité et de la nature des faits reprochés au salarié, l’employeur peut être contraint de procéder à des vérifications en demandant, par exemple, une enquête interne ou un audit. Dans cette hypothèse, le délai de prescription commence à courir une fois que l’enquête est réalisée et que les conclusions sont portées à la connaissance du salarié (Cass. soc., 10 juillet 2019, n° 18-11.254). Dans le cadre de cette enquête, l'employeur doit user de moyens justifiés et proportionnés. Ainsi, les investigations ne doivent pas porter une atteinte excessive à son droit au respect de sa privée sous peine de voir le licenciement refusé (CE, 4e et 1re ch. réunies, 2 mars 2020, n° 418640).
Bon à savoir : le Code du travail ne prévoit aucune obligation pour l'employeur d'informer un salarié sur les conséquences de son comportement sur le plan disciplinaire. Ainsi, l'absence d'avertissement adressé à un salarié ne permet pas de considérer son licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass, soc., 10 juillet 2019, n° 18-13.893).
Voici les étapes à respecter lorsqu'un licenciement pour faute lourde est envisagé.
Le prononcé d'une mise à pied conservatoire
Au jour où il prend connaissance des faits fautifs, l'employeur peut suspendre immédiatement le contrat de travail. Dans ces conditions, le salarié cesse de se rendre sur son lieu de travail et ne perçoit plus aucune rémunération, pendant toute la durée de la procédure de licenciement.
Bon à savoir : les dispositions particulières en faveur des salariés protégés sont applicables. L'inspecteur du travail doit donner son autorisation. De plus, lorsque le salarié protégé fait l'objet d'une mise à pied conservatoire, l'employeur a l'obligation de saisir l'inspecteur du travail dans les plus brefs délais sous peine de nullité du licenciement (Cass. soc., 4 juillet 2018, n° 16-26.860).
À noter : l'annulation du licenciement d'un salarié protégé entraine l'annulation de sa mise à pied et de ses effets. Par conséquent, le salarié doit retrouver son poste (et non un poste similaire) et les salaires non perçus pendant cette période doivent lui être versés (Cass. soc., 29 mars 2023, n° 21-25.259).
La convocation à un entretien préalable
L'employeur convoque le salarié à un entretien par lettre recommandée avec accusé de réception ou par courrier remis en main propre contre décharge. La convocation contient les mentions suivantes : l'objet de l'entretien, à savoir l'éventuel licenciement y compris pour faute grave, la date, le lieu et l'heure de l'entretien ainsi que la possibilité pour le salarié de se faire assister (article L. 1232-2 du Code du travail).
La tenue de l'entretien préalable
Il se déroule au moins 5 jours ouvrables après présentation de la lettre de convocation. L'employeur expose les motifs de l'éventuel licenciement au salarié et recueille ses explications. Si le salarié ne se présente pas à l'entretien, l'employeur peut tout de même poursuivre la procédure.
La notification du licenciement
Le licenciement est nécessairement notifié par lettre recommandée avec accusé de réception. La notification ne peut intervenir moins de 2 jours ouvrables après l'entretien mais doit nécessairement intervenir dans un délai d'un mois suivant la date de l'entretien préalable. Elle contient l'exposé des motifs précis ayant conduit l'employeur à rompre le contrat de travail.
Le décret n° 2017-1820 du 29 décembre 2017, pris en application de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, propose 6 modèles types de lettres de notification de licenciement. Ces modèles sont facultatifs pour l‘employeur, et peuvent être adaptés à la situation spécifique du salarié. Le décret propose ainsi notamment un modèle de lettre de licenciement pour motif personnel disciplinaire pour faute sérieuse, grave ou lourde.
Bon à savoir : l'article R. 1232-13 du Code du travail (issu du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 pris en application de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail) permet au salarié de demander à l'employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. Cette demande doit être faite dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. L'employeur dispose ensuite d'un délai de quinze jours après la réception de cette demande pour apporter des précisions s'il le souhaite.
La remise des documents de fin de contrat
Certificat de travail, solde de tout compte et attestation Pôle emploi (attention, depuis le 1er juin 2021, les anciens modèles d'attestations ne sont plus acceptés par Pôle Emploi : le modèle unique valide peut être trouvé dans l'espace employeur sur pole-emploi.fr, ou sur le logiciel de paie pour les entreprises qui sont dans le périmètre de la DSN).
Il convient de vérifier les dispositions conventionnelles applicables à l'entreprise car la convention collective ou les accords collectifs peuvent prévoir une procédure différente, plus complète, qui s'impose à l'employeur.
Exemple : certaines conventions collectives prévoient, qu'en cas de faute lourde, un conseil de discipline doit être tenu.
Conséquences du licenciement pour faute lourde : préavis et indemnités
Licencié pour faute lourde, le salarié ne peut pas prétendre, sauf en présence de dispositions conventionnelle, contractuelles ou usuelles plus favorables, à :
- l'indemnité de licenciement (article L. 1234-9 du Code du travail) ;
- l'indemnité de préavis (article L. 1234-5 du Code du travail).
A contrario, il conserve le bénéfice des droits suivants :
- indemnité de congés payés dès lors qu'il n'a pas pu bénéficié de la totalité du congé payé auquel il avait droit avant la rupture du contrat (article L. 3141-28 du Code du travail) ;
- allocations chômage.
À noter : avant le 2 mars 2016, la faute lourde était privative de l'indemnité compensatrice de congés payés. Par décision du 2 mars 2016 (n° 2015-523), le Conseil constitutionnel a supprimé cette règle qu'il estime inconstitutionnelle.